The "Memes"
BEIGE
WIE : Votre modèle de dynamique en
spirale figure notre mouvement évolutif en
commençant il y a 100 000 ans avec l'apparition du
premier " niveau d'existence ", le mème BEIGE. A
quoi correspond ce premier stade du développement
humain ?
DB : Le BEIGE, dans notre modèle, est un
état d'existence pour ainsi dire automatique, induit par
les besoins physiologiques impérieux qui actionnent le
dispositif primaire de survie avec lequel nous sommes
nés. Dans sa forme originelle, si on remonte à
100 000 ans, le niveau d'existence BEIGE a été la
première étape qui a fait de nous des humains. Il
s'agit d'humains luttant simplement pour leur survie dans des
environnements où se trouvent d'autres animaux.
Néanmoins, nous sommes plus sophistiqués et
semblons avoir plus de talents conceptuels pour nous
réunir en clans protecteurs afin de préserver ce
que nous avons et nous protéger des prédateurs. Le
père, dans le clan de survie, mange en premier, parce que
si le plus fort meurt, la famille n'a plus d'espoir. Ainsi, la
clé du BEIGE est la survie par l'utilisation d'une
intelligence instinctive, avec un système sensoriel plus
affûté qui nous permet de mieux voir et de mieux
entendre nous pouvons ressentir des choses avec la
racine nos cheveux dans la nuque. Le simple fait de rester en
vie est ce qui compte le plus.
WIE : Reste t-il des exemples de BEIGE de nos
jours ?
DB : Le seul vrai BEIGE qui existe encore
aujourd'hui dans sa condition primitive est caché en
Indonésie et dans certaines parties d'Afrique. Nous avons
étudié les aborigènes pendant quelque
temps : il est tout à fait clair qu'ils ont la troublante
capacité de retrouver de l'eau enfouie, ou des œufs
d'autruche. Ils peuvent aussi sentir les changements de temps.
Donc, " primitif " ne veut pas dire pour nous
" primitif-et-imbécile ", parce qu'il pourrait bien y
avoir jusqu'à seize sortes de sens, y compris la
capacité de voir à grande distance, une
multiplicité de sens activés à ce niveau
d'existence. Mais aujourd'hui, la plupart de ces sens sont
atrophiés, submergés par nos systèmes
conceptuels plus complexes.
WIE : Est-ce que les conditions de vie forcent
parfois les gens à exister au niveau BEIGE, même s'ils ne
sont pas réellement primitifs ni ne sont
représentatifs de la forme " primaire " de ce
mème ?
DB : Oh, on peut trouver des traces de BEIGE chez
les gens qui vivent dans la rue et sont avant tout des
chasseurs-cueilleurs, qui mangent ce qu'ils dégotent sur
leur chemin. On peut certainement en voir l'exemple dans les
horribles conditions d'extrême pauvreté de Somalie ou
d'Ethiopie, où l'existence se réduit au geste de la main
à la bouche. C'est aussi évident chez les
nouveaux-nés, qui mangent quand ils ont faim. Et puis un
certain nombre de gens, quand ils sont exposés à
une catastrophe, peuvent régresser jusqu'au BEIGE. Le
sens de priorités plus hautes disparaît brusquement
quand on se trouve pris dans une tragédie personnelle,
dans des situations de souffrance ou de privation extrême. Il se
crée une sorte de vide, certainement induit par la peur,
parce que les limites et les attentes se dissolvent soudain et
que l'on se retrouve seul sur ses pas, livré à ses
propres moyens. C'est ce sentiment que nous avons quand nous
avons à faire quelque chose d'entièrement
différent, quelque chose que nous n'avons jamais fait
auparavant et que nous ne sommes même pas sûrs de pouvoir faire.
Je pense qu'après le 11 septembre nous avons vu des gens
rentrer temporairement dans le BEIGE parce que la crise les a
mis dans une condition psychologique différente.