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7 juillet 2005

C'est l'histoire d'un mec..

albert_richter

Un homme au courage tranquille qui n’hésita pas à affronter, seul, les autorités de son pays pour défendre ses convictions humanistes. Un champion flamboyant qui eut le malheur de faire carrière – une carrière éblouissante – au mauvais endroit et au mauvais moment : dans l’Allemagne des années 1930, en proie à une nazification galopante. Adulé par tout un peuple, Albert Richter, champion incontesté de vitesse sur piste de 1932 à 1939, refusa toujours, avec une constance remarquable et malgré la pression, d’incarner le modèle aryen, et ne cacha jamais son aversion pour le régime hitlérien – une opposition qui finit par lui coûter la vie.

C’est une photo à la une du « Berliner Zeitung », en juillet 1934. Une foule enthousiaste acclame Albert Richter, qui vient de remporter, à Hanovre, le titre de champion d’Allemagne de vitesse. Autour de lui, dans un stade archicomble, tous effectuent le salut nazi. Tous, sauf un : Richter. Le héros du jour tient son guidon de la main gauche et, ostensiblement, il a posé la droite sur sa cuisse. Ne pas lever le bras, c’est afficher ouvertement son hostilité au régime.


albert_richter_grusslos

« Les nazis ont pris ça comme une gifle en pleine figure, raconte Doris Markus, la fille de son entraîneur et ami juif, Berliner, avec lequel il ne cessera de travailler malgré les injonctions et les menaces. On répondait toujours au salut nazi. Tout le monde. Mais pas lui. Jamais. Il était totalement, définitivement antinazi. » Quelques semaines plus tard, aux championnats du monde de Leipzig, devant la presse du monde entier, l’affront est plus cinglant encore : Richter – sacré champion et révélation de l’année – est le seul coureur allemand à avoir refusé de porter le nouveau maillot à croix gammée imposé par la fédération cycliste de son pays ; il a choisi de conserver l’ancien, orné de l’aigle impérial, et sa présence sur les clichés fait désordre... Mesure-t-on le courage de cet homme, droit, calme, souriant, très seul dans cette frénésie ambiante ? Lui si exposé, toujours en pleine lumière, aura eu cette force admirable d’afficher, sans faiblir, son hostilité au régime nazi. « Albert Richter ne s’est jamais renié : il a dit non, contrairement à la majorité des Allemands à l’époque », confirme ici sa biographe.

Il faut savoir qu’en ces années de l’entre-deux-guerres le cyclisme sur piste, mi-sport mi-spectacle, est une discipline très populaire qui emplit les stades et les vélodromes de l’Europe entière. Et que le sport est un élément essentiel de l’idéologie nazie et de sa théorie de l’homme nouveau. Mais dès l’accession de Hitler au pouvoir, en janvier 1933, Albert Richter ne se sent plus aucune affinité avec la nouvelle Allemagne, qui s’enfonce chaque jour davantage dans la dictature : l’antisémitisme lui est absolument étranger. Lorsqu’en 1934, les juifs seront exclus de toute activité sportive, et Berliner interdit d’exercer son métier d’entraîneur, le champion refusera de se séparer de lui et la tension, au fil des ans, ne cessera de monter. En 1938, il est finalement placé sous surveillance. Inquiet, il commence à mesurer ses propos, et envisage même de changer de nationalité. Berliner, pour sa part, s’est réfugié en Hollande. A la grande fureur des nazis, Richter continue de refuser obstinément un entraîneur aryen, et poursuit au grand jour sa collaboration avec son ami, notamment aux championnats du monde d’Amsterdam, en 1938. La déferlante nazie sur l’Europe a alors commencé. Après l’annexion de l’Autriche, puis l’invasion de la Pologne en septembre 1939, Richter est catastrophé : « Je ne peux pas devenir soldat. Je ne peux pas tirer sur des Français, ce sont mes amis ! » (il est alors la coqueluche du public parisien du Vél’d’Hiv qui hurle dans les gradins « Richter, pas Hitler ! » ) On lui demande d’espionner à l’étranger. Il refuse. Et comprend qu’il est temps, pour lui, de quitter l’Allemagne. Il finit par s’embarquer pour la Suisse, n’emportant que son vélo, une paire de ski et une petite valise, où est cachée une forte somme d’argent destinée à un ami juif. Le train est arrêté à la frontière et les douaniers, bien informés, trouvent l’argent. Richter est aussitôt incarcéré. Trois jours plus tard, le 3 janvier 1940, la Gestapo annonce sa mort. Version officielle : suicide par pendaison. La vérité sur sa disparition ne sera jamais révélée : son cercueil est scellé, et on en interdit l’ouverture. Les nazis ont fini par éliminer celui qu’ils ne pouvaient soumettre…

Mais non contents de l’assassiner, ils vont encore salir sa mémoire : dans un communiqué infamant, la fédération allemande de cyclisme écrit qu’ « en trafiquant des devises pour un juif, Albert Richter a commis un terrible crime, et le suicide était pour lui la seule issue. » Et de conclure : « Son nom est effacé de nos rangs, de nos mémoires, à jamais. » 

                                                                                     R. C.
rcannavo@nouvelobs.com

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